.......................................................................................................................................................................................... Photo S.C.
Tartares, Ouzbeks, Nénètses / tout le peuple ukrainien, / et même les Allemands de la Volga / attendent les traducteurs.
Et peut-être, en ce moment, / un Japonais / me traduit en turc / et atteint mon âme.

Ossip Mandelstam


mercredi 12 octobre 2016

Cristina Peri Rossi (1941 - Uruguay)



HÔPITAL DE SANT PAU


Dans la salle des urgences bondée
sans même un maudit box individuel
ni toilettes
ni un médecin potable

comme ils n’éteignent pas la lumière la nuit
il est impossible de dormir

Un infirmier
pour quarante ou cinquante
paraplégiques déments cardiaques
pancréatiques ou renversés comme moi

la morphine avait soulagé mes douleurs
mais la lumière blanches et les gémissements
m’empêchaient de dormir

Á trois heures du matin
c’était la relève : un infirmier chauve
la cinquantaine en blouse blanche
qui savait mettre de la distance
entre lui et les gémissements
entre lui et les réclamations

chaque nuit il venait me changer le sérum
et la morphine

Comment ça va ?
il me demandait
sachant qu’il se fichait bien de savoir comment j’allais

Une nuit je lui ai dit sur un ton complice
« C’est ça la vérité de la vie
la douleur la maladie la mort »

Non, m’a-t-il dit. C’est le côté obscur.
Quand je sors d’ici
j’oublie tout ça.

Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé qu’il vivait seul
qu’il avait un copain jeune
un garçon avec un blouson et des bottes
en cuir noir
et qu’ils aimaient le sexe dur.
Moi je l’aime mou.


HOSPITAL DE SANT PAU


En la repleta sala de urgencias
sin un maldito box individual
ni un retrete
ni un médico decente

no apagaban la luz por la noche
de modo que no había manera de dormir

Un enfermero
para cuarenta o cincuenta
parapléjicos dementes cardíacos
pancreáticos o atropellados como yo

la morfina me había aliviado los dolores
pero la luz blanca y los gemidos
no me dejaban dormir

A las tres de la mañana
era el recambio: un enfermero calvo
cincuentón de bata blanca
que sabía poner distancia
entre él y los gemidos
entre él y las demandas

cada noche venía a cambiarme el suero
y la morfina
¿Qué tal, como está?
me preguntaba
pero yo sabía que le daba lo mismo como estuviera

Una noche le dije con complicidad
“Esta es la verdad de la vida
el dolor la enfermedad la muerte”

No –me dijo. Es el lado oscuro.
Cuando salgo de aquí
me olvido de todo esto.

No sé porqué, pensé que vivía solo
tenía un novio joven
un muchacho con chupa y botas
de cuero negro
y les gustaba el sexo duro.
A mí me gusta blando.





CETTE NUIT J’AI FAIT UN RÊVE


Cette nuit j’ai rêvé que je faisais l’amour avec ma mère
ou plutôt
je n’arrivais pas à faire l’amour avec ma mère
parce qu’il y avait toujours quelqu’un pour m’interrompre
avec n’importe quelle bêtise

ma mère était nue
et très belle
elle a toujours été très belle
même dans sa vieillesse

elle devait avoir vingt-six ans
l’âge qu’elle avait quand je suis née

et elle était nue
complètement nue

ma mère me plaisait beaucoup
mais chaque fois quelqu’un apparaissait
prêt à m’interrompre
alors je me retenais

Je ne vais pas le raconter au psychanalyste
il me dira que ce n’était pas ma mère
même si elle avait l’apparence de ma mère
les psychanalystes aiment beaucoup
que les choses ne soient pas ce qu’elles sont
on les paye pour ça.


II

Le jour suivant je suis allée voir le psychanalyste
et je lui ai raconté mon rêve
je lui ai raconté que je couchais avec une femme
jeune
plus jeune que moi
elle avait vingt-six ans
alors le psychanalyste
m’a dit que cette femme n’était pas une autre femme
comme je le croyais dans le rêve
en réalité – m’a-t-il dit –
la femme avec laquelle vous couchiez dans votre rêve
était votre mère.


III

J’ai passé un mois
à demander à toutes sortes de gens
– hommes et femmes –
s’ils avaient déjà rêvé qu’ils couchaient avec leur mère
et eux
– hommes et femmes –
me disaient que non
en aucune façon
ils ou elles ne pouvaient rêver de ces cochonneries

– une saleté de ce genre –

jusqu’au jour où je me suis rendu compte
que leur mère n’était pas belle.


ANOCHE TUVE UN SUEÑO

Anoche soñé que hacía el amor con mi madre
mejor dicho
no conseguía hacer el amor con mi madre
porque siempre venía alguien a interrumpirme
con alguna tontería

mi madre estaba desnuda
y era muy guapa
siempre ha sido muy guapa
hasta en la vejez

debía tener veintiséis años
la edad que tenía cuando yo nací

y estaba desnuda
completamente desnuda

me gustaba mucho mi madre
pero siempre aparecía alguien
dispuesto a interrumpir
así que yo me demoraba

No se lo contaré al psicoanalista
me dirá que esa no era mi madre
a pesar de tener la apariencia de mi madre
a los psicoanalistas les gusta mucho
que las cosas no sean lo que son
les pagan para eso.


II

Igual al otro día fui al psicoanalista
y le conté un sueño
le conté que me acostaba con una mujer
joven
más joven que yo
tenía veintiséis años
entonces el psicoanalista
me dijo que esa mujer no era otra mujer
como yo creía en el sueño
en realidad –dijo–
la mujer con la que soñó que se acostaba
era su madre.


III

Me pasé un mes
preguntándole a toda clase de personas
–hombres y mujeres–
si habían soñado que se acostaban con sus madres
y ellos
–hombres y mujeres–
me decían que no
que de ninguna manera
ellos y ellas no soñarían con esas porquerías

–una sucia cosa de esas–

hasta que me di cuenta
de que no tenían madres guapas





À QUOI SERT LA LECTURE


Une maison d’édition m’appelle
et me demande d’écrire
cinq pages sur la nécessité de la lecture

Ils ne payent pas très bien
qui payerait bien pour un thème de ce genre ?
mais bon
j’ai besoin de cet argent

j’allume donc l’ordinateur et commence à réfléchir
sur la nécessité de la lecture
mais rien ne me vient à l’esprit

c’est quelque chose que j’ai dû savoir quand j’étais jeune
je n’arrêtais pas de lire
je lisais à la bibliothèque nationale
dans les bibliothèques publiques

je lisais dans les cafés
chez le dentiste

je lisais dans le bus et dans le métro

je regardais toujours les livres
je passais des après-midis dans les librairies d’occasion
jusqu’à me retrouver sans un sou en poche

je devais revenir à pied à la maison

pour avoir acheté un Saroyan ou une Virginia Woolf

Les livres me semblaient alors la chose la plus importante dans la vie

fondamentale

je n’avais pas de chaussures neuves
mais il ne me manquait ni un Faulkner ni un Onetti
ni une Katherine Mansfield ou une Juana de Ibarbourou

aujourd’hui les jeunes vont en discothèque
pas dans les bibliothèques

je me suis fait une bonne collection de livres
ils occupaient toute la maison

il y avait des bouquins partout
sauf aux toilettes

qui est le lieu où se trouvent les livres
des gens qui ne lisent pas

parfois il fallait suivre longtemps la trace
d’un livre sorti à Mexico ou Paris
une longue enquête pour mettre la main dessus

Ils ne valaient pas tous la peine
c’est vrai
mais je me suis rarement trompée
j’ai eu mes Pavese mes Salinger mes Sartre mes Heidegger
mes Saroyan mes Michaux mes Camus mes Baudelaire
mes Neruda mes Vallejo mes Huidobro
sans parler des Cortázar et des Borges

j’avais toujours dans mes poches des bouts de papier
avec les titres que je voulais lire et que je ne trouvais pas

il y avait ceux de Pedro Salinas et d’Ambrose Bierce
l’infâme tourbe de Dante

mais aujourd’hui je serais bien incapable de dire à quoi
a bien pu me servir de lire tout ça

sinon à savoir que la vie est triste

ce que j’aurais pu apprendre sans nécessité de les lire

Cinq heure plus tard je n’avais toujours pas écrit
une seule ligne
je me suis donc mise à écrire ce poème
J’ai appelé la maison d’édition
et je leur ai dit je crois que la lecture
ne sert qu’à une chose
c’est à écrire des poèmes
je ne peux pas vous dire autre chose

alors ils m’ont dit qu’un poème ne leur servait à rien
qu’ils avaient besoin d’autre chose.


PARA QUÉ SIRVE LA LECTURA


Me llaman de una editorial
y me piden que escriba
cinco folios sobre la necesidad de la lectura

No pagan muy bien
¿quién podría pagar bien por un tema así?
pero de todos modos
necesito el dinero

así que enciendo el ordenador y me pongo a pensar
sobre la necesidad de la lectura
pero no se me ocurre nada

es algo que seguramente sabía cuando era joven
y leía sin parar
leía en la Biblioteca Nacional
y en las bibliotecas públicas

leía en las cafeterías
y en la consulta del dentista

leía en el autobús y en el metro

siempre andaba mirando libros

y me pasaba las tardes en las librerías de usados
hasta quedarme sin un duro en el bolsillo

tenía que volver a pie a casa

por haberme comprado un Saroyan o una Virginia Woolf

Entonces los libros parecían la cosa más importante de la vida

fundamental

y no tenía zapatos nuevos
pero no me faltaba un Faulkner o un Onetti
una Katherine Mansfield o una Juana de Ibarbourou

ahora la gente joven está en las discotecas
no en las bibliotecas

yo me hice una buena colección de libros
ocupaban toda la casa

había libros en todas partes
menos en el retrete

que es el lugar donde están los libros
de la gente que no lee

a veces tenía que seguirle durante mucho tiempo
las huellas a un libro que había salido en México
o en París
una larga pesquisa hasta conseguirlo

No todos valían la pena
es verdad
pero pocas veces me equivoqué
tuve mis Pavese mis Salinger mis Sartre mis Heidegger
mis Saroyan mis Michaux mis Camus mis Baudelaire
mis Neruda mis Vallejo mis Huidobro
para no hablar de los Cortázar o de los Borges

siempre andaba con papelitos en los bolsillos
con los libros que quería leer y no encontraba

por allí andaban los Pedro Salinas y los Ambrose Bierce
la infame turba de Dante

pero ahora no sabía decir para qué maldita cosa
servía haber leído todo eso

más que para saber que la vida es triste

cosa que hubiera podido saber sin necesidad de leerlos

Cuando habían pasado cinco horas yo todavía no había escrito
una sola línea
así que me puse a escribir este poema
Llamé a los de la editorial
y les dije creo que para lo único que sirve
la lectura
es para escribir poemas
no puedo decirles más que eso

entonces me dijeron que un poema no servía,
que necesitaban otra cosa.