HÔPITAL
DE SANT PAU
Dans la salle des urgences bondée
sans même un maudit box individuel
ni toilettes
ni un médecin potable
comme ils n’éteignent pas la lumière la nuit
il est impossible de dormir
Un infirmier
pour quarante ou cinquante
paraplégiques déments cardiaques
pancréatiques ou renversés comme moi
la morphine avait soulagé mes douleurs
mais la lumière blanches et les gémissements
m’empêchaient de dormir
Á trois heures du matin
c’était la relève : un infirmier chauve
la cinquantaine en blouse blanche
qui savait mettre de la distance
entre lui et les gémissements
entre lui et les réclamations
chaque nuit il venait me changer le sérum
et la morphine
Comment ça va ?
il me demandait
sachant qu’il se fichait bien de savoir comment j’allais
Une nuit je lui ai dit sur un ton complice
« C’est ça la vérité de la vie
la douleur la maladie la mort »
Non, m’a-t-il dit. C’est le côté obscur.
Quand je sors d’ici
j’oublie tout ça.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé qu’il vivait seul
qu’il avait un copain jeune
un garçon avec un blouson et des bottes
en cuir noir
et qu’ils aimaient le sexe dur.
Moi je l’aime mou.
HOSPITAL DE SANT PAU
Dans la salle des urgences bondée
sans même un maudit box individuel
ni toilettes
ni un médecin potable
comme ils n’éteignent pas la lumière la nuit
il est impossible de dormir
Un infirmier
pour quarante ou cinquante
paraplégiques déments cardiaques
pancréatiques ou renversés comme moi
la morphine avait soulagé mes douleurs
mais la lumière blanches et les gémissements
m’empêchaient de dormir
Á trois heures du matin
c’était la relève : un infirmier chauve
la cinquantaine en blouse blanche
qui savait mettre de la distance
entre lui et les gémissements
entre lui et les réclamations
chaque nuit il venait me changer le sérum
et la morphine
Comment ça va ?
il me demandait
sachant qu’il se fichait bien de savoir comment j’allais
Une nuit je lui ai dit sur un ton complice
« C’est ça la vérité de la vie
la douleur la maladie la mort »
Non, m’a-t-il dit. C’est le côté obscur.
Quand je sors d’ici
j’oublie tout ça.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé qu’il vivait seul
qu’il avait un copain jeune
un garçon avec un blouson et des bottes
en cuir noir
et qu’ils aimaient le sexe dur.
Moi je l’aime mou.
HOSPITAL DE SANT PAU
En la repleta sala de urgencias
sin un maldito box individual
ni un retrete
ni un médico decente
no apagaban la luz por la noche
de modo que no había manera de dormir
Un enfermero
para cuarenta o cincuenta
parapléjicos dementes cardíacos
pancreáticos o atropellados como yo
la morfina me había aliviado los dolores
pero la luz blanca y los gemidos
no me dejaban dormir
A las tres de la mañana
era el recambio: un enfermero calvo
cincuentón de bata blanca
que sabía poner distancia
entre él y los gemidos
entre él y las demandas
cada noche venía a cambiarme el suero
y la morfina
¿Qué tal, como está?
me preguntaba
pero yo sabía que le daba lo mismo como estuviera
Una noche le dije con complicidad
“Esta es la verdad de la vida
el dolor la enfermedad la muerte”
No –me dijo. Es el lado oscuro.
Cuando salgo de aquí
me olvido de todo esto.
No sé porqué, pensé que vivía solo
tenía un novio joven
un muchacho con chupa y botas
de cuero negro
y les gustaba el sexo duro.
A mí me gusta blando.
▼
CETTE NUIT J’AI FAIT UN RÊVE
Cette nuit j’ai rêvé que je faisais l’amour avec ma mère
ou plutôt
je n’arrivais pas à faire l’amour avec ma mère
parce qu’il y avait toujours quelqu’un pour m’interrompre
avec n’importe quelle bêtise
ma mère était nue
et très belle
elle a toujours été très belle
même dans sa vieillesse
elle devait avoir vingt-six ans
l’âge qu’elle avait quand je suis née
et elle était nue
complètement nue
ma mère me plaisait beaucoup
mais chaque fois quelqu’un apparaissait
prêt à m’interrompre
alors je me retenais
Je ne vais pas le raconter au psychanalyste
il me dira que ce n’était pas ma mère
même si elle avait l’apparence de ma mère
les psychanalystes aiment beaucoup
que les choses ne soient pas ce qu’elles sont
on les paye pour ça.
II
Le jour suivant je suis allée voir le psychanalyste
et je lui ai raconté mon rêve
je lui ai raconté que je couchais avec une femme
jeune
plus jeune que moi
elle avait vingt-six ans
alors le psychanalyste
m’a dit que cette femme n’était pas une autre femme
comme je le croyais dans le rêve
en réalité – m’a-t-il dit –
la femme avec laquelle vous couchiez dans votre rêve
était votre mère.
III
J’ai passé un mois
à demander à toutes sortes de gens
– hommes et femmes –
s’ils avaient déjà rêvé qu’ils couchaient avec leur mère
et eux
– hommes et femmes –
me disaient que non
en aucune façon
ils ou elles ne pouvaient rêver de ces cochonneries
– une saleté de ce genre –
jusqu’au jour où je me suis rendu compte
que leur mère n’était pas belle.
Cette nuit j’ai rêvé que je faisais l’amour avec ma mère
ou plutôt
je n’arrivais pas à faire l’amour avec ma mère
parce qu’il y avait toujours quelqu’un pour m’interrompre
avec n’importe quelle bêtise
ma mère était nue
et très belle
elle a toujours été très belle
même dans sa vieillesse
elle devait avoir vingt-six ans
l’âge qu’elle avait quand je suis née
et elle était nue
complètement nue
ma mère me plaisait beaucoup
mais chaque fois quelqu’un apparaissait
prêt à m’interrompre
alors je me retenais
Je ne vais pas le raconter au psychanalyste
il me dira que ce n’était pas ma mère
même si elle avait l’apparence de ma mère
les psychanalystes aiment beaucoup
que les choses ne soient pas ce qu’elles sont
on les paye pour ça.
II
Le jour suivant je suis allée voir le psychanalyste
et je lui ai raconté mon rêve
je lui ai raconté que je couchais avec une femme
jeune
plus jeune que moi
elle avait vingt-six ans
alors le psychanalyste
m’a dit que cette femme n’était pas une autre femme
comme je le croyais dans le rêve
en réalité – m’a-t-il dit –
la femme avec laquelle vous couchiez dans votre rêve
était votre mère.
III
J’ai passé un mois
à demander à toutes sortes de gens
– hommes et femmes –
s’ils avaient déjà rêvé qu’ils couchaient avec leur mère
et eux
– hommes et femmes –
me disaient que non
en aucune façon
ils ou elles ne pouvaient rêver de ces cochonneries
– une saleté de ce genre –
jusqu’au jour où je me suis rendu compte
que leur mère n’était pas belle.
ANOCHE TUVE UN SUEÑO
Anoche soñé que hacía el amor con mi madre
mejor dicho
no conseguía hacer el amor con mi madre
porque siempre venía alguien a interrumpirme
con alguna tontería
mi madre estaba desnuda
y era muy guapa
siempre ha sido muy guapa
hasta en la vejez
debía tener veintiséis años
la edad que tenía cuando yo nací
y estaba desnuda
completamente desnuda
me gustaba mucho mi madre
pero siempre aparecía alguien
dispuesto a interrumpir
así que yo me demoraba
No se lo contaré al psicoanalista
me dirá que esa no era mi madre
a pesar de tener la apariencia de mi madre
a los psicoanalistas les gusta mucho
que las cosas no sean lo que son
les pagan para eso.
II
Igual al otro día fui al psicoanalista
y le conté un sueño
le conté que me acostaba con una mujer
joven
más joven que yo
tenía veintiséis años
entonces el psicoanalista
me dijo que esa mujer no era otra mujer
como yo creía en el sueño
en realidad –dijo–
la mujer con la que soñó que se acostaba
era su madre.
III
Me pasé un mes
preguntándole a toda clase de personas
–hombres y mujeres–
si habían soñado que se acostaban con sus madres
y ellos
–hombres y mujeres–
me decían que no
que de ninguna manera
ellos y ellas no soñarían con esas porquerías
–una sucia cosa de esas–
hasta que me di cuenta
de que no tenían madres guapas
▼
À QUOI SERT LA LECTURE
Une maison d’édition m’appelle
et me demande d’écrire
cinq pages sur la nécessité de la lecture
Ils ne payent pas très bien
qui payerait bien pour un thème de ce genre ?
mais bon
j’ai besoin de cet argent
j’allume donc l’ordinateur et commence à réfléchir
sur la nécessité de la lecture
mais rien ne me vient à l’esprit
c’est quelque chose que j’ai dû savoir quand j’étais jeune
je n’arrêtais pas de lire
je lisais à la bibliothèque nationale
dans les bibliothèques publiques
je lisais dans les cafés
chez le dentiste
je lisais dans le bus et dans le métro
je regardais toujours les livres
je passais des après-midis dans les librairies d’occasion
jusqu’à me retrouver sans un sou en poche
je devais revenir à pied à la maison
pour avoir acheté un Saroyan ou une Virginia Woolf
Les livres me semblaient alors la chose la plus importante dans la vie
fondamentale
je n’avais pas de chaussures neuves
mais il ne me manquait ni un Faulkner ni un Onetti
ni une Katherine Mansfield ou une Juana de Ibarbourou
aujourd’hui les jeunes vont en discothèque
pas dans les bibliothèques
je me suis fait une bonne collection de livres
ils occupaient toute la maison
il y avait des bouquins partout
sauf aux toilettes
qui est le lieu où se trouvent les livres
des gens qui ne lisent pas
parfois il fallait suivre longtemps la trace
d’un livre sorti à Mexico ou Paris
une longue enquête pour mettre la main dessus
Ils ne valaient pas tous la peine
c’est vrai
mais je me suis rarement trompée
j’ai eu mes Pavese mes Salinger mes Sartre mes Heidegger
mes Saroyan mes Michaux mes Camus mes Baudelaire
mes Neruda mes Vallejo mes Huidobro
sans parler des Cortázar et des Borges
j’avais toujours dans mes poches des bouts de papier
avec les titres que je voulais lire et que je ne trouvais pas
il y avait ceux de Pedro Salinas et d’Ambrose Bierce
l’infâme tourbe de Dante
mais aujourd’hui je serais bien incapable de dire à quoi
a bien pu me servir de lire tout ça
sinon à savoir que la vie est triste
ce que j’aurais pu apprendre sans nécessité de les lire
Cinq heure plus tard je n’avais toujours pas écrit
une seule ligne
je me suis donc mise à écrire ce poème
J’ai appelé la maison d’édition
et je leur ai dit je crois que la lecture
ne sert qu’à une chose
c’est à écrire des poèmes
je ne peux pas vous dire autre chose
alors ils m’ont dit qu’un poème ne leur servait à rien
qu’ils avaient besoin d’autre chose.
PARA QUÉ SIRVE LA LECTURA
Me llaman de una editorial
y me piden que escriba
cinco folios sobre la necesidad de la lectura
No pagan muy bien
¿quién podría pagar bien por un tema así?
pero de todos modos
necesito el dinero
así que enciendo el ordenador y me pongo a pensar
sobre la necesidad de la lectura
pero no se me ocurre nada
es algo que seguramente sabía cuando era joven
y leía sin parar
leía en la Biblioteca Nacional
y en las bibliotecas públicas
leía en las cafeterías
y en la consulta del dentista
leía en el autobús y en el metro
siempre andaba mirando libros
y me pasaba las tardes en las librerías de usados
hasta quedarme sin un duro en el bolsillo
tenía que volver a pie a casa
por haberme comprado un Saroyan o una Virginia Woolf
Entonces los libros parecían la cosa más importante de la vida
fundamental
y no tenía zapatos nuevos
pero no me faltaba un Faulkner o un Onetti
una Katherine Mansfield o una Juana de Ibarbourou
ahora la gente joven está en las discotecas
no en las bibliotecas
yo me hice una buena colección de libros
ocupaban toda la casa
había libros en todas partes
menos en el retrete
que es el lugar donde están los libros
de la gente que no lee
a veces tenía que seguirle durante mucho tiempo
las huellas a un libro que había salido en México
o en París
una larga pesquisa hasta conseguirlo
No todos valían la pena
es verdad
pero pocas veces me equivoqué
tuve mis Pavese mis Salinger mis Sartre mis Heidegger
mis Saroyan mis Michaux mis Camus mis Baudelaire
mis Neruda mis Vallejo mis Huidobro
para no hablar de los Cortázar o de los Borges
siempre andaba con papelitos en los bolsillos
con los libros que quería leer y no encontraba
por allí andaban los Pedro Salinas y los Ambrose Bierce
la infame turba de Dante
pero ahora no sabía decir para qué maldita cosa
servía haber leído todo eso
más que para saber que la vida es triste
cosa que hubiera podido saber sin necesidad de leerlos
Cuando habían pasado cinco horas yo todavía no había escrito
una sola línea
así que me puse a escribir este poema
Llamé a los de la editorial
y les dije creo que para lo único que sirve
la lectura
es para escribir poemas
no puedo decirles más que eso
entonces me dijeron que un poema no servía,
que necesitaban otra cosa.